Dans le tramway qui la mène au bureau de la Securitate, où elle a de nouveau été convoquée, la narratrice lutte pour ne pas se laisser entraîner par son angoisse et le sentiment d'humiliation que son interrogateur va s'ingénier à provoquer dès son entrée.
Elle a, un jour, osé glisser un message dans la poche du pantalon de luxe qu'elle cousait pour une maison italienne, comme une bouteille à la mer, depuis elle est convoquée... Elle voudrait pouvoir résister... Herta Müller nous transmet l'expérience de la dictature, de la peur et de l'humiliation à travers un style dont les phrases courtes ont la force et l'intensité d'un poème.
Ce qu'on en dit...
Herta Müller est née le 17 août 1953, dans le village germanophone de Nitzkydorf, en Roumanie dans la région du Banat, qui compte une minorité souabe. A Nitzkydorf, personne ne parlait le roumain, hormis quelques fonctionnaires chargés de faire régner l'ordre du dictateur Nicolae Ceausescu (1918-1989). Très tôt, Herta Müller s'est rapprochée d'un groupement politique, l'Aktionsgruppe Banat, rassemblant des auteurs germanophones qui revendiquaient la liberté d'expression. C'était à la fin des années 1960, Herta Müller n'avait pas encore commencé à écrire.
Après des études à Timisoara, elle travaille comme traductrice dans une usine de machines d'où elle est renvoyée pour avoir refusé de coopérer avec la Securitate et de donner des renseignements sur ce fameux groupe. Elle vit alors d'expédients. C'est sous la force de l'oppression qu'elle commence à écrire : "J'ai dû apprendre à vivre en écrivant et non l'inverse. Je voulais vivre à la hauteur de mes rêves, c'est tout."
Son premier livre, Niederungen, est publié en 1982, mais expurgé par la censure. Il paraît de façon complète en 1984 en Allemagne de l'Ouest, où Herta Müller va finir par s'exiler en 1987 avec son mari d'alors, l'écrivain Richard Wagner.
Cette arrivée en Allemagne est à la fois une rupture, qu'elle raconte dans Reisende auf einem Bein (1989), et un retour aux sources ; elle y retrouve sa langue d'origine : "Désormais le lien te semble corde". Si elle n'a jamais vraiment parlé roumain, c'est pourtant sa vie en Roumanie sous la dictature de Ceausescu, véritable école de la peur, qui nourrit toute son oeuvre - esthétique de la résistance, littérature contre l'oubli. Voilà vingt ans que Ceausescu est mort et le pays n'a toujours pas fait son autocritique : "En Roumanie, on fait comme si ce passé s'était évanoui dans les airs. Le pays tout entier souffre d'amnésie", écrit Herta Müller.
Toute son oeuvre tourne autour de la dénonciation de cette oppression vécue au quotidien ; c'est ce qui a du reste motivé la décision du comité du Nobel, qui souligne l'aptitude de l'auteur à donner "une image de la vie quotidienne dans une dictature pétrifiée" et à peindre "le paysage des dépossédés". Son dernier livre en date, Atemschaukel (2009, à paraître, en 2010, chez Gallimard sous le titre La Balançoire du souffle) élargit la dénonciation de l'oppression en retraçant la vie d'un prisonnier dans un camp de concentration russe.
Cette position résolument politique est servie par une langue acérée, comprimée et ciselée, souvent difficile, qui emprunte à la fois à la poésie et au langage populaire : "Il est stupide de dire que chaque auteur a sa propre langue, note Herta Müller. Nous en sommes tous réduits à compter sur la langue de ceux qui n'écrivent pas." Une lucidité qui vaut bien un Nobel.
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