On entre dans un roman de Jean-Claude Mourlevat comme dans un rêve. Aussitôt nous voilà enveloppés dans une atmosphère magique aux images si fortes que nous cheminons presque à côté des personnages, la main posée sur leur épaule. Direction Petite Terre, un îlot perdu dans un royaume glacé du bout du monde. Le vieux roi Holund est mort et un peuple entier défile sous la neige afin de lui rendre un dernier hommage sur son lit de pierre. Au premier rang, Aleks et Brisco, dix ans, jumeaux à l'infaillible solidarité. Aleks fait un cauchemar troublant dans lequel le souverain le confond avec son frère et, le lendemain, Brisco est capturé par une élégante blonde, «La louve». Car l'enfant était en fait le petit-fils du roi défunt, élevé loin des siens, afin d'échapper aux griffes de Guerolf, écarté autrefois du pouvoir. Bien qu'il soit devenu seigneur de Grande Terre, Guerolf a soif de vengeance. Le père d'Aleks, accompagné d'un nain et de la sorcière Brit, âgée de deux cent vingt-deux ans et croqueuse de têtes de rat, tenteront l'impossible expédition pour arracher Brisco à sa prison dorée. Aleks fera à la fois l'expérience de la solitude, privé de l'amitié fraternelle, et du deuil d'une enfance insouciante, car Petite Terre tombe sous le joug de l'armée de Guerolf. Viennent des temps mauvais, puis la guerre. Les deux frères, devenus hommes, ont grandi en ignorant tout l'un de l'autre. Désormais aptes à se battre, ils se préparent à mener un combat que tout oppose. L'Histoire peut-elle encore les réunir? Fraternité, amitié, espoir et trahison sont au rendez-vous de cette oeuvre initiatique dont on sort des images plein la tête, comme celle d'une petite sorcière voûtée, toute de noir vêtue, trottinant sur la neige, poussant des «huhu» malicieux. Après son merveilleux Combat d'hiver, l'auteur livre une fresque de facture plus classique mais tout aussi puissante. Passé maître pour faire basculer le conte vers un registre plus intime, Mourlevat décrit le destin d'homme qui suit son coeur, quitte à balayer la petite musique douce du passé.
Ce qu'on en dit...
Le livre est à l'aune de la beauté de son titre. Il en a l'élégance un peu mystérieuse, l'évidence poétique, la résonance fantastique. Le Chagrin du roi mort touche essentiellement par la limpidité de sa langue, dont la puissance d'évocation réside précisément dans sa clarté et sa simplicité. A l'image de l'univers qu'elle suscite, les étendues glacées d'une île du Nord, lumineuses et inquiétantes à la fois. Jean-Claude Mourlevat imagine deux frères jumeaux d'une dizaine d'années qu'un passé mystérieux va brusquement séparer. L'histoire, qui pourrait se dérouler au Moyen Age, sans que l'époque soit précisée, se nourrit de diverses traditions, roman d'initiation, heroic fantasy, saga nordique, mêlant avec brio réalisme et merveilleux, aventure et vérité des sentiments intimes. Une réflexion subtile sur la fraternité, la trahison, le prix de la paix et de l'amour court tout au long de ce roman au charme irrésistible.
Telerama n° 3106 - 25 juillet 2009
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