jeudi 21 octobre 2010

Petit traité de la décroissance sereine - Serge Latouche


" La décroissance n'est pas la croissance négative.
Il conviendrait de parler d " a-croissance ", comme on parle d'athéisme. C'est d'ailleurs très précisément de l'abandon d'une foi ou d'une religion (celle de l'économie, du progrès et du développement) qu'il s'agit. S'il est admis que la poursuite indéfinie de la croissance est incompatible avec une planète finie, les conséquences (produire moins et consommer moins) sont encore loin d'être acceptées.
Mais si nous ne changeons pas de trajectoire, la catastrophe écologique et humaine nous guette. Il est encore temps d'imaginer, sereinement, un système reposant sur une autre logique : une "société de décroissance". " S. L.


Ce qu'on en dit...

Je rêvais d'un autre monde.

La décroissance est une de ces idées qui font partie de la mouvance alter-mondialiste, une idée qui a gagné une certaine légitimité (on commence à en parler), surtout grâce à la prise de conscience du risque écologique qui menace la planète.

Il faut comprendre que la décroissance est avant tout une critique de la société actuelle : c'est presque enfoncer une porte ouverte que de dire que les ressources naturelles étant limitées on ne peut pas tabler sur une croissance infinie de la consommation et de la production. Mais notre système est basée sur une économie de croissance (dont le moteur est la recherche du profit) et il n'y a rien de pire qu'une société de croissance dans laquelle la croissance n'est pas au rendez-vous (chômage, anxiété,...). La conclusion s'impose : pour diminuer la consommation il faut changer de société, passer d'une société de croissance à une société de décroissance. C'est dire que l'auteur nous invite à une véritable révolution culturelle, un changement structurel de la société est nécessaire. Oubliez au passage le concept du "développement durable", véritable arnaque nous explique l'auteur, la technique avérée du capitalisme pour récupérer ses ennemis et s'en nourrir.

Je ne vais pas revenir longuement sur la litanie funeste des méfaits de notre société de croissance : consumérisme maladif, gaspillage, publicité, crédit, travaillisme et productivisme,... l'auteur s'en charge très bien et c'est parfois savoureux (mais consternant et inquiétant, ainsi les crevettes danoises qu'on envoie se faire décortiquer au Maroc avant de les rapatrier pour les commercialiser partout en Europe. Ou encore, question gaspillage, saviez-vous que 150 millions d'ordinateurs sont transportés chaque année dans les déchèteries du tiers-monde ?). Bref il est clair que notre société actuelle est basée sur un consumérisme maladif, une hyper-consommation qui a pour corolaire le gaspillage et la destruction des ressources naturelles. Cette consommation effrénée repose sur une ronde diabolique : la publicité, l'obsolescence programmée des produits (les pièces sont programmées pour casser après un temps de vie déterminé) et le crédit.

La société de décroissance est une utopie concrète : c'est le rêve d'un monde meilleur mais réalisable, les conditions de sa réalisation sont spécifiées. L'auteur synthétise le mécanisme au moyen de huit concepts en 'R' qu'il détaille rapidement : Réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler. Ces huit objectifs permettraient d'enclencher un "cercle vertueux" de décroissance, en se renforçant. Il y aurait bien sur des implications concrètes sur notre mode de vie, par exemple le tourisme de masse ne serait plus possible et on vivrait en quelque sorte à l'horizon de son clocher. De même notre alimentation serait affectée (moins de viande, uniquement des produits saisonniers,..), on consommerait moins ("réduire") mais tout dans tout on vivrait mieux. A propos de la réduction, il faut rappeler que notre désir de luxe est lié principalement à une fonction de prestige social, c'est à dire qu'on cherche à consommer autant que celui qui se trouve juste au-dessus de nous dans l'échelle sociale. Sachant cela il n'est pas difficile de comprendre comment une prise de conscience pourrait enclencher une spirale vertueuse vers le bas de la consommation ! L'auteur insiste beaucoup sur le concept de relocalisation. Il faut signaler également une analyse pertinente du problème du développement au Sud (promotion d'une société économe et autonome), beaucoup plus pertinente me semble-t-il que celle des tenant de l'ulra-libéralisme.

On comprend bien que cela n'est possible qu'à condition d'un changement de mentalité et je trouve que l'auteur fait tout à fait mouche ici. Notre société actuelle promeut (via l'enseignement et la publicité notamment) une valeur unique : l'argent (Exemple : le pitoyable "Travailler plus pour gagner plus" d'un certain président). Pour vaincre le capitalisme c'est clair qu'il faut parvenir à imposer d'autres valeurs, il faut "décoloniser notre imaginaire". Cela rejoint ce qui reste pour moi la meilleure critique du capitalisme, celle de Arnsperger dans sa critique de l'existence capitaliste ( http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/10868 ). Arnsperger montrait comment le capitalisme pervertit les gens en leur faisant refuser leurs finitudes existentielles, l'auteur ici nous montre qu'en plus le système actuel nous pousse à devenir des criminels : gaspillage, destruction de la planète, exploitation du Sud, mais aussi promotion d'une mégalomanie égoïste et individualiste. Autre point sur lequel l'auteur fait entièrement mouche c'est notre frénésie travailliste (vous vous souvenez le "Travailler plus pour gagner plus" ? C'est tellement bête que je le répète !). Il prône une réduction complète et une réorganisation totale du temps de travail mais aussi il revisite la notion même de travail (au passage j'ai appris que cette frénésie du travail était assez récente, savez-vous qu'à l'époque néolithique les hommes avaient besoin de 3 à 4 heures de "travail" pour nourrir la tribu ?). Je cite pour la beauté de l'intention : "Une reconquête du temps personnel. Un temps qualitatif. Un temps qui cultive la lenteur et la contemplation, en étant libéré de la pensée du produit".

La dernière partie du traité traite des considérations politiques, proposant des mesures concrètes. Il considère aussi le problème aigu du plein-emploi (on a accusé les pro-décroissance de gosses de riches égoïstes car ils mettaient en cause le sacro-saint concept de plein emploi) : il prône clairement une sortie de notre société travailliste. Ce mouvement est-il de gauche et de droite ? Il dépasse plutôt ce clivage qui n'a plus beaucoup de sens, mais est clairement anti-capitaliste.

Evidemment certains auront beau jeu d'assimiler les partisans de la décroissance avec des nostalgiques du transport en charrette à cheval et de la lampe à huile, voir de la vie dans les grottes. Il y a peut-être du vrai. Mais personnellement je me retrouve très bien dans leur programme politique et surtout dans la critique de notre société actuelle. Ne fusse que parce que j'en ai marre de nos villes polluées, de l'agression permanente de la publicité, de notre mode de vie complètement aliéné au travail et à l'argent, de la sur-consommation et du royaume du fric. C'est ma première prise de contact avec ce mouvement, à travers ce livre, mais je compte poursuivre mes investigations.

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/15716

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