mercredi 3 février 2010

Ne plus vivre avec lui - Eva Kavian

Ne plus vivre avec lui

Ne plus vivre avec lui

Sylvia a dix-sept ans. Parce qu'elle en a marre de la garde alternée, parce qu'elle ne veut plus vivre avec son père, cet éternel absent, elle l'appelle. Et il meurt. Il dit d'accord, et il meurt. Un père absent et un père mort, ce n'est pas pareil.

Ne plus vivre avec lui. Cela paraissait si simple.


Ce qu'on en dit...

Le nouveau roman de l'excellente romancière belge Eva Kavian devrait être mis entre les mains de tous les ados. Dans une langue qui leur parle, avec une empathie étonnante pour son héroïne (Sylvia, 17 ans) Eva Kavian nous propose un livre touchant sur le deuil.

"Ne plus vivre avec lui" commence par une fausse piste qui ne manque pas d'intérêt. C'est le paradoxe de cette histoire : Sylvia décide de ne plus vivre une semaine sur deux avec son père, séparé de sa mère depuis quatre ans. Elle n'a pas le temps d'en discuter avec lui. A peine le lui a-t-elle annoncé qu'il meurt dans un accident de voiture, au moment même où elle est au téléphone avec lui.

Le roman d'Eva Kavian démarre sur cette idée forte et plonge très vite le lecteur dans les interrogations et les angoisses de Sylvia. Est-elle responsable de la mort de son père ? (c'est elle qui l'a appelé sur son portable) Supportera-t-elle le chagrin de sa mère, anéantie par ce décès alors qu'elle avait rompu de son plein gré quatre ans plus tôt ? Sylvia sera-t-elle assez forte pour supporter ses sœurs âgées de cinq ans, qui ont tant besoin d'elle et dont elle voulait justement se séparer avant le décès de son père ?

Culpabilité, colère, chagrin se mélangent habilement dans ce récit d'une rare empathie. On suit pas à pas les révoltes de Sylvia et ses révélations. On comprend sa douleur et on apprend ses bonheurs. L'un de ceux-ci s'appelle Manu, c'est son petit ami, l'ancien stagiaire de son père, qui joue au chat et à la souris avec elle. Mais surtout, on comprend l'importance des odeurs ("Je prends ton gros pull rouge pour moi. Oh Papa, il a ton odeur. Tu es mort et ton odeur vit encore"). Mais également, celle de l'espace. Sylvia investit peu à peu l'ancien appartement du défunt. Elle découvre la solitude. Et surtout, elle apprend à le connaître par-delà la mort, car ces deux-là n'ont jamais trouvé comment communiquer.

Dans un style direct, Eva Kavian emmène son lecteur à la lisière des non-dits. Entre les lignes, on devine le chemin qu'il faut faire pour passer à l'âge adulte, ce chemin que certains font à dix-sept ans et d'autres à cinquante. A l'âge de Sylvia et dans le contexte où elle a vécu, ce chemin se fait d'abord dans la violence. "Je prends ton réveil Donald pour Line et ta tasse Mickey pour Lola. Héritages inodores. Trois héritières. Va chier ! Tu faisais quoi juste avant de partir vers la mort ? La table du petit-déjeuner est encore là." Et, plus loin : "Je t'en veux, Papa, je t'en veux, t'as pas idée comme je t'en veux. Je t'en veux d'être mort. Si vite, sans prévenir. Je t'en veux, de nous laisser tomber. De nous laisser sans toi. Je déteste que tu sois mort. Pigé ?"

Bref, ce roman d'une justesse quasi parfaite devrait parler aux ados et les faire réfléchir. Son seul défaut, peut-être, une sorte de ventre mou au milieu, autour de la préparation des funérailles, lorsque Sylvia s'appesantit sur les rites mortuaires vietnamiens. La magie retombe et le roman sonne soudainement comme une leçon de spiritualité un peu lourde. Mais c'est bien peu de choses, finalement, en regard de l'ensemble du livre.

Eva Kavian, Ne plus vivre avec lui, Mijade.

T. Bellefroid

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