" Peu importe en quoi vous croyez, le fuku, lui, croit en vous ". Le fuku, c'est la malédiction qui frappe la famille d'Oscar, une très ancienne légende dominicaine. Oscar, lui, rêve de mondes fantastiques, s'imagine en Casanova ou Tolkien, au lieu de quoi il grandit au fond de sa classe et de son New Jersey, binoclard fou de SF, obèse et solitaire. Ses seuls superpouvoirs sont ses voyages dans l'histoire de sa famille. Nourrie des destins de ses aïeux brisés par la torture, la prison et l'exil, la vie d'Oscar s'écrit, fulgurante et désastreuse. Et rejoint la grande Histoire, celle de la dictature de Trujillo, de la diaspora dominicaine aux Etats-Unis, des promesses avortées du rêve américain. Ce qu'on en dit... Le jeune Oscar se verrait bien écrivain, de ces pourfendeurs du mal qui investissent la fantasy. Mais c’est sans compter le fuku, cette malédiction qui vous colle à la peau. Alors le nouveau Tolkien est obèse, mal dans sa peau, coincé dans une banlieue populaire entre Lola, une soeur effrontée, et Beli, sa mère tyrannique. L’avenir n’annonce rien de merveilleux, d’autant que la famille Wao traîne derrière elle des racines en République Dominicaine et une immigration version cauchemar américain. Mais pas question de s’apitoyer. Junot Diaz, qui au passage rafle un prestigieux prix Pulitzer, signe la chronique franchement décalée d’un drame bien réel.
Dans le quartier de Patterson, New Jersey, il bâtit des gratte-ciel de mots, une Babel vertigineuse où les langues se fondent en un argot puissant, hésitant entre le spanglish, le verlan et une foule de références littéraires. Un nouveau langage pour une nouvelle identité, hybride de racines dominicaines et de pop culture américaine : un nouveau langage pour faire le pont entre passé et présent. L’écrivain investit le champ lexical en toute liberté, afin de créer dans l’observation attentive et avec un brin de génie pour tout réinventer, son propre édifice littéraire. Et si l’on y pénètre avec difficulté, le monde merveilleux et sombre de Diaz finit par se révéler profondément attachant, vibrant et exubérant. Instructif aussi, pour ses digressions sur l’histoire dominicaine dans d’interminables notes de bas de page et son regard sans concession sur l’autre visage de la plus grande puissance mondiale.
Alors s’il n’est pas le premier à se défaire allègrement des convention syntaxiques et grammaticales, voire à éclater son scénario au détriment de toute logique narrative, Junot Diaz n’en surprend pas moins. Car au jeu de la langue, rares sont ceux qui sortent vainqueurs avec un tel panache.
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